Le Procès

Nouvelle sur le thème du procès ayant été proposée dans le cadre d'un concours d'écriture, et ayant remporté le premier prix.
1er Octobre 2022.
Cour d'assises, 10 boulevard du Palais, 75000 Paris.
Le brouhaha de la salle d'audience. L'agitation des jurés. Le bruit des stylos grattant les carnets de notes des journalistes. Les claquements de langue réguliers de l'accusé, fixant de son box le monde qui se bousculait pour lui. Les quelques mots échangés par le greffier au commissaire de justice qui s'installait. La sonnerie brève et retentissante d'une cloche. L'entrée de la Cour. Et tout à coup, ce silence.
« Mesdames, Monsieur, l'audience est ouverte », déclara la Présidente de la Cour, une femme d'une trentaine d'années à la chevelure blonde et au regard froid.
Ses traits étaient tirés par la fatigue, sa bouche pincée d'avoir trop souvent tue ses émotions. Comment, si jeune, peut-on déjà porter sur le visage les stigmates de l'abominable ?
Tout en ouvrant son dossier, elle poursuivi :
« Monsieur l'officier de police, faites entrer Monsieur Garavito. Qu'il vienne à la barre. »
Ted Garavito, menotté, le dos courbé et le regard vide, trainait des pieds.
Il avait coiffé ses quelques fins cheveux noirs en arrière et s'était rasé de près. C'était un homme plutôt grand, de maigre corpulence. Ses joues étaient creusées, son regard d'un bleu profond était imprécis, perdu. Le coin droit de ses lèvres fines tremblotait à un rythme régulier, comme il est courant chez les individus atteints d'un trouble obsessionnel compulsif. Ses moindres mouvements étaient scrutés par la salle muette, révoltée. Il semblait enchainé à un fardeau invisible.
Alors qu'il atteignait la barre et faisait face aux juges, il jeta un bref regard à la fenêtre qui se trouvait sur sa gauche. Il le savait, ce n'était plus qu'une question d'heures. Il avait été choisi, il ne pouvait en être autrement.
La Présidente de la Cour reprit :
« Monsieur Garavito, veuillez décliner votre nom, âge, domicile et profession. »
Ted hésita un instant.
Il la détestait déjà, elle et sa robe de magistrate fraichement repassée. Il pouvait lire l'arrogance sur son visage, cet air supérieur qu'on lui a trop souvent infligé à lui, pauvre gosse de pauvres, sans avenir et sans famille. Il grimaçait à l'idée de répondre à cette femme qu'il méprisait du plus profond de son cœur, mais il le savait, sa rédemption lui imposait de passer par là.
Il souffla, du coin des lèvres, juste ce qu'il faut pour être audible :
« Ted Garavito, quarante-deux ans,
chauffeur de taxi, 32 rue Henri Longatte, Paris.
- Monsieur Garavito, je vous informe que vous avez
le droit de faire des déclarations, ou de garder le silence. Que
choisissez-vous ?
- Garder le silence. »
Ted leva à nouveau les yeux vers la Présidente. « Pauvre conne » pensa-t-il.
L'officier de police l'attrapa par le bras et le raccompagna à son box. Ted s'assit et observa la salle alors que la Présidente de la Cour désignait au hasard les jurés titulaires du procès, qui allaient se placer aux côtés des juges sur l'estrade principale en bois.
« Ignorants, si seulement vous saviez qui je suis. Si seulement vous délaissiez votre monde de profanes. Si seulement vous aviez cru, ah, en vérité, en vérité je vous le dis, vous n'y comprenez rien » pensa Ted.
« Juré titulaire numéro 4, Sophie Yuda. »
Le regard de Ted fut happé par la jurée fraichement désignée, qui se levait de sa chaise pour rejoindre ses confrères d'un jour.
Il la trouvait belle, une beauté de celle des anges. Il ne pouvait en être autrement, son teint était si clair, ne venait-elle pas d'ailleurs ? Sa longue chevelure brune descendait en cascade le long de son dos, « comme les autres, comme ma mère. » se dit-il. Son cœur s'emballait alors qu'elle s'asseyait auprès des autres jurés. Elle l'avait regardé. Elle l'avait regardé de ses grands yeux marrons, c'était son salut. Elle le sauverait de ce trou à rat, de cette vie qu'il ne mériterait pas, ils partiraient ensemble à la fin de cette misérable pièce de théâtre qu'ils appellent procès, et serviront ensemble la bonne cause.
Ted ne parvenait pas à savoir combien de temps il venait de passer à fixer Sophie lorsque la Présidente de la Cour prit de nouveau la parole :
« Voici les faits : le mercredi 3 janvier 2020 Anne Blanchard, une étudiante toulousaine de 20 ans a disparu alors qu'elle était en vacances à Paris et logeait à l'hôtel Arioso, dans le 8ème arrondissement. Elle a été retrouvée morte le 9 janvier 2020 aux abords de la forêt de l'abbaye de Royaumont... »
Ted esquissa un sourire que personne ne remarqua. Il se souvenait de l'odeur des longs cheveux bruns d'Anne. Ils sentaient la vanille. Il détestait la vanille. Sa mère n'était pas capable de cuisiner un foutu gâteau sans y mettre de la vanille.
« ... Le 12 février 2020, Isabella Luja, une étudiante Erasmus de 23 ans a disparu dans la nuit alors qu'elle était de passage à Paris et logeait à l'hôtel du Ministère, dans le 8ème arrondissement. Son corps a été retrouvé le 15 février 2020 sur un terrain vague à l'entrée de la vallée de la Bièvre... »
Ted remua sur sa chaise.
« Isabella était si belle, comment a-t-elle pu me faire ça ? Me trahir alors que j'avais confiance en elle. Elle aurait dû me comprendre. Je pensais qu'elle me comprendrait. T'as merdé Isabella, t'as merdé je te le dis. En vérité, en vérité je te le dis Isabella, tu n'aurais jamais dû me faire ça » murmura intérieurement l'accusé.
« ... Le 6 avril 2020, c'est au tour de Lucie Halley, une employée de café de 18 ans, de disparaitre. Elle s'était rendue à Paris afin d'assister à un entretien d'embauche, elle souhaitait travailler comme hôtesse auprès d'une agence d'événementiel. Elle logeait dans un Airbnb rue de Rome, dans le 8ème arrondissement. Elle a été retrouvée morte le 17 avril 2020 sur un sentier de randonnée des collines du Perche... »
Ted soupira mais à nouveau, personne ne le remarqua. Ce n'était pas assez, son fardeau n'était pas assez lourd, il devait aller au bout, il le faisait pour son salut.
« ... Toutes trois présentent des similitudes : ce sont des jeunes femmes brunes aux yeux marrons qui logeaient seules dans le 8ème arrondissement. Elles ont toutes été retrouvées les bras et les jambes scalpées, éventrées, la poitrine et l'appareil génital brulés. Elles sont toutes mortes d'hémorragie. Chacune d'elles était mise en scène, toutes avaient les jambes recroquevillées, comme si elles étaient assises. Leur bras et leur tête avaient des positions différentes, parfois tendus, parfois pliés, le visage tourné vers la droite ou vers la gauche... » continuait la Présidente de la Cour.
Ted se pinça les lèvres.
« C'est ce qu'elles sont. Je ne fais que retranscrire l'histoire. Mes divines apôtres » se dit-il.
« ... Enfin, toutes trois présentent une inscription dans le dos, d'après les experts, faites au cutter. Un carré pour Anne, un cercle pour Isabella et un bras gauche tendu pour Lucie... »
Ted pensa, alors qu'il commençait à taper nerveusement du pied « Vous avez tout, mais vous ne voyez rien. Vous ne voyez rien car vous ne croyez pas. Moi je crois, alors je serai sauvé ».
« ...Monsieur Garavito est chauffeur de taxi depuis 5 ans, il a pour habitude d'exercer dans le 16ème, le 8ème et le 17ème arrondissement. Le relevé de comptes de chacune des victimes permet d'établir qu'elles ont toutes procédé à un règlement bancaire pour une course de taxi auprès de Monsieur Garavito durant leur séjour dans la capitale... »
Ils ne le chopperaient pas comme ça. Qu'avait-il fait de mal, si ce n'est transporter ces filles d'un lieu à un autre, comme il le faisait des dizaines de fois par jour depuis cinq ans ? Non, Ted le savait, ça ne suffirait pas.
« ...C'est un habitué du bar The Cricketer, situé rue des Mathurins dans le 8ème arrondissement. Une carte de visite du bar a été retrouvée dans sa veste le soir de son arrestation. Le gérant du pub a formellement reconnu deux des trois victimes, Anne et Isabella. Il affirme qu'elles se sont rendues dans son bar la nuit de leurs enlèvements respectifs, et Monsieur Garavito était aussi présent. Les caméras de surveillance extérieures confirment son témoignage... »
Ted bougeait son pied de plus en plus nerveusement. « Ça ne prouve rien. Tu ne m'auras pas comme ça, saleté de juge ! Si seulement... ».
Ses pensées s'interrompirent au moment où son regard se porta sur Sophie Yuda. Il la scruta, contemplatif de son visage encore enfantin, trahi par un air sérieux de circonstance.
« ...Les empreintes digitales de Monsieur Garavito ont été retrouvées sur les malles de transport d'Anne et sur la robe que portait Lucie le jour de sa disparition et de la découverte de son corps. Des traces de pneus identiques à ceux de la voiture de Monsieur Garavito ont été photographiées à quelques mètres du lieu de découverte des corps des victimes. Un agent d'entretien assure avoir aperçu Monsieur Garavito dans sa voiture, garée à proximité du bar The Cricketer, la nuit de la disparition de Lucie. Il se serait approché alors qu'il balayait le trottoir et aurait entendu des bruits étouffés venant du coffre. Quelques secondes plus tard, Monsieur Garavito démarrait en trombe... »
Ted murmura d'une façon inaudible : « Qu'est-ce qu'il foutait près de ma caisse ? C'est ma caisse putain. Tu sais pas à qui tu cherches des emmerdes. En vérité, en vérité je te le dis, je suis l'homme de Vitruve »
L'officier de police qui se tenait à côté lui tapa l'épaule et le pria d'arrêter de gesticuler.
« Enfin, un journal intime a été retrouvé chez Monsieur Garavito. Journal dans lequel il exprime sa haine des femmes et sa haine de sa mère. Des cheveux blonds et bruns ont également été scotchés sur plusieurs pages de son journal, sans qu'il n'ait été déterminé à qui ils appartenaient. Des analyses ADN ont été effectuées et il ne s'agit pas de celles des victimes. »
Ted se laissa happer par ses pensées les plus noires, et ne fut plus capable d'écouter la suite du procès. Il ne sentait plus le temps défiler. Après tout, à quoi bon ? Personne ne comprenait qu'il était l'homme de Vitruve, la plus parfaite des créatures.
« Je suis le parfait, ne le voient-ils pas ? Le ciel m'a envoyé ne le voient-ils pas ? Ces putains de traitresses, elles méritent ce que je leur ai fait. Le monde me doit douze apôtres, que je choisis à ma guise. Putain de merde, je sais bien pourtant qu'une d'elle causera ma perte, qui est mon Judas ? Je suis obligé de les buter, elles finiront par me trahir. Ils pensent que j'en ai tuées trois, alors que j'en ai tuées huit, une par mois. Ils ne savent rien de moi car ils n'ont pas découvert les autres corps, n'ont pas vu leurs dos... ils n'ont pas tous les éléments du Vitruve, mais quand ils les auront, ils sauront qui je suis. Ils ignorent qu'il me reste quatre autres apôtres à trouver. Je les buterai de la même manière. Piégées comme des putains de lapin de Garenne, taillées dans leur chair alors qu'elles vivent encore. Éventrées de tout leur long pour que jamais elles ne puissent enfanter. Brulées pour les punir. Ouais c'est ce que méritent les traitresses dans leur genre. »
« ... une enfance particulièrement difficile... »
La plaidoirie de son avocat tira Ted de ses ruminements alors même que sa mâchoire, si durement serrée, commençait à lui faire mal.
« ... sa mère, alcoolique, ne s'est jamais occupée de lui. Mon client n'a jamais connu son père. C'est un petit gars de 7 ans qui a appris à faire les courses, à cuisiner, et à border sa mère le soir alors qu'elle ne tenait plus debout. C'est un petit gars de 7 ans qui passait la moitié de ses nuits à se boucher les oreilles pour ne pas entendre les ébats de sa mère et d'un nouvel inconnu. Mon client tient un journal intime depuis ses 18 ans, sur les conseils d'un psychiatre. Il doit y inscrire ses ressentis les plus durs à exprimer. Mon client a simplement pris une habitude : dès qu'il rencontre une femme qui l'aime en retour, et sur son autorisation, il en conserve une mèche de cheveux. C'est le réconfort d'un gosse de 7 ans qui n'a pas eu d'enfance, c'est un réconfort dont il aura besoin toute sa vie, sans que cela fasse de lui un criminel. Il n'a d'ailleurs jamais été condamné. Il a d'excellents retours de ses clients, c'est un très bon chauffeur de taxi. Le bar ?
Enfin, madame la Présidente, mesdames messieurs les assesseurs, mesdames messieurs les jurés, The Cricketer est un bar très huppé du 8ème arrondissement. Ainsi, le fait que d'une part mon client le conseille fréquemment à ses passagers lors des courses, mais aussi le fait que mon client soit un habitué et qu'il ait pu un soir se trouver garé à proximité n'a rien de surprenant. Que pouvait-il y avoir dans son coffre à ce moment-là ? Quels sont les bruits entendus par l'agent d'entretien le soir du 6 avril 2020 ? Pourquoi personne n'a-t-il jugé bon de préciser que mon client est l'heureux propriétaire d'un Labrador dont il ne se sépare jamais et qui adore se coucher dans le coffre de la voiture durant les trajets ? »
Ted hochait la tête, se félicitant d'avoir fait appel à Maître Isaïe pour le défendre. C'était un bon avocat, un type sérieux et travailleur, qui vivait sa passion du pénal peu importe le dossier qu'il avait à défendre.
« Très bien, très bien. Je vous vois m'opposer les traces de pneus aux abords des lieux de découverte des corps. L'explication est très simple, et plusieurs témoins le confirmeront : mon client est un passionné de randonnées, il s'y rend chaque week-end, seul avec son chien, ou bien en compagnie de ses amis du club de randonnée duquel il fait partie depuis 3 années. Enfin, il est assez évident que les empreintes retrouvées sur les affaires des victimes sont justifiées par le fait que mon client charge les bagages de ses passagers : la malle d'Anne en toute évidence porte les empreintes digitales de mon client et quant à la robe de Lucie, celle-ci était sur cintre, sans housse de protection. Mon client l'a touché au moment de charger et de décharger les bagages de la victime.
Voilà comment d'une incroyable succession de circonstances, un homme innocent se trouve accuser des pires atrocités... »
Ted se promit que plus jamais il ne se ferait prendre et se perdit dans le ciel gris de Paris, qu'il pouvait apercevoir par la fenêtre en face de lui, en haut du mur.
« Ils se croient tous plus malins, mais ce ne sont que des incapables. Je serai d'autant plus cruel avec les prochaines, plus sauvage. Je les traquerai dans la nuit noire jusque chez elles, je leur couperai la langue pour ne plus entendre leurs supplications, je leur arracherai les yeux de mes propres mains, brulerai leurs seins au chalumeau alors qu'elles seront encore vivantes mais n'entendrai ni leur cri ni ne verrai leurs regards. Je les viderai de leurs tripes et les leur enfoncerai dans la bouche jusqu'au fin fond de leurs gorges. J'exposerai leurs corps dans des lieux publics, aux yeux de tous. Des toilettes de cinéma, un parc de jeux pour enfants... une église... que tous soient témoins de comment finissent les traitresses. Je continuerai la reproduction de La Cène, car chacune d'elle y aura sa place. Il m'en manque quatre. Encore quatre et j'aurai éliminé mes douze apôtres. Je serai à l'abri de toute trahison, je serai à l'abri des femmes et leurs vices, j'obtiendrai enfin mon salut ».
Deux heures passèrent, sans que Ted ne soit plus capable de se concentrer sur autre chose que son macabre projet. Alors que l'audition des témoins et experts s'achevait, l'un des jurés signifia à la Présidente qu'elle souhaitait poser une question à l'accusé :
« Monsieur Garavito ? Monsieur Garavito, s'il vous plait, je sais bien que vous souhaitez garder le silence mais j'ai besoin de savoir... oui de savoir pourquoi haïssez-vous autant les femmes ? » questionna une jeune femme, stylo à la main.
Ted tourna lentement la tête vers les jurés, et identifia celle qui venait de l'interroger.
C'était Sophie Yuda, resplendissante de beauté. Il lui expliquerait, il lui parlerait. Elle comprendrait tout et l'aimera aussi fort que ce qu'il l'aime déjà. Mais pas maintenant, non pas ici pas devant ces autres qui ne comprendraient pas. Ted plongea ses yeux dans ceux de Sophie, choisissant le silence. Quelques secondes passèrent, pour lui ce fut une éternité. Une éternité à contempler celle qu'il recherchait depuis toujours. Une femme le regardait et voulait l'apprendre, lui, lui qui n'avait jamais suscité le moindre intérêt, lui qui passait inaperçu, lui qui n'avait eu ni mère ni femme. Ce moment était sa douceur, son antre. Commençait-il à l'aimer ?
Soudain, il aperçut une lueur dans les yeux marrons de la jeune jurée. Une lueur qu'il ne reconnut pas tout de suite, une lueur qui finit par le heurter. Un frisson lui parcourut le dos, une chaleur naquit dans sa nuque puis, la froideur. Ted comprit, il vit le visage de Sophie se fermer, il déchiffra les mots que lui hurlait son regard à présent noir, avant qu'elle ne le détourne de lui. Sophie ne comprendrait jamais, elle le méprisait. Pire, Sophie allait voter pour sa culpabilité.
Ted serra la mâchoire, serra les poings.
Il savait pertinemment ce qui venait à l'instant de naître au plus profond de ses tripes.
Le ciel était sombre et la pluie tombait sur Paris à l'heure de la fin des délibérations.
La tension était palpable dans la salle d'audience et la chaleur pesante. Ted avait entendu dire que les médias s'agglutinaient à l'entrée du palais de justice, dans l'attente du verdict. Il fut appelé à la barre, afin d'entendre la décision de la Cour. Il se tenait droit, cette fois-ci. Il était prêt. Ted planta son regard dans ceux de Sophie alors que la Présidente de la Cour entamait l'annonce du délibéré :
« À la question Monsieur Garavito est-il coupable d'avoir enlevé et assassiné Anne Blanchard, la majorité a répondu non. »
Sophie essayait de ne pas regarder l'accusé mais sentant son regard fixe elle ne pouvait s'empêcher de jeter régulièrement un œil dans sa direction. A chaque fois, elle sentait son estomac se nouer.
« À la question Monsieur Garavito est-il coupable d'avoir enlevé et assassiné Isabella Luja, la majorité a répondu non. »
Ted ne lâchait pas Sophie du regard. La lecture de son acquittement était aussi celle de la condamnation de Sophie, et il tenait à ce qu'elle le sache. Il la voyait, tripoter son stylo, corner le coin de ses feuilles, avaler machinalement sa salive, esquiver son regard, placer ses cheveux derrière ses oreilles. Plus encore, il la voyait, à son tour, bouger nerveusement la jambe.
« À la question Monsieur Garavito est-il coupable d'avoir enlevé et assassiné Lucie Halley, la majorité a répondu non. En conséquence la Cour prononce un acquittement. Mesdames, Messieurs, l'audience est levée. »
Sophie était à présent pétrifiée et resta assise, raide comme une pique, alors que les autres jurés se levaient déjà.
Ted n'avait pas détourné le
regard alors que l'officier de police lui retirait ses menottes. Au moment où
il pu retrouver l'usage libre de ses mains, il se frotta les poignets tout en
décrochant un long sourire à la jeune jurée. Sophie se leva brusquement,
s'empara de son dossier et descendit de l'estrade, se mêlant à la foule.
Deux semaines plus tard il pleuvait toujours sur Paris.
Minuit approchant, le tonnerre gronda.
Sophie se précipita dans le hall de son immeuble, et baissa la capuche de son anorak.
« Je suis si heureuse. Tu as botté ce foutu cancer ! Je t'appelle demain, on fêtera ça en famille... oui... ok, bonne nuit maman. »
Elle rangea son téléphone dans son sac et se dirigea vers le premier étage.
Devant sa porte d'entrée, et alors qu'elle cherchait ses clés, elle entendit un craquement qui déchira le silence qui régnait dans le couloir. Elle se retourna mais ne décela aucune présence. La lumière automatique qui éclairait jusqu'alors le hall s'éteignit. Le cœur de Sophie accélérait sans qu'elle ne comprenne pourquoi, et elle se mit à tortiller son trousseau de clés afin de saisir celle qui ouvrirait la porte de son appartement. Elle l'enfonça dans la serrure, la tourna deux fois, ouvrit la porte et se rua à l'intérieur, claquant la porte derrière elle.
Alors qu'elle se maudissait d'être aussi
bête de se mettre dans un tel état pour un simple craquement d'escalier, Sophie
ne vit pas l'ombre qui l'attendait, assise sur le canapé. Choisissant de se
rendre directement dans la salle de bain pour prendre une douche, elle ne vit
pas non plus l'ombre se lever, l'observer par l'entrebâillement de la porte
pendant qu'elle retirait ses vêtements, puis se glisser dans son le lit.
LC